Suckling, SAQ et flou artistique

Si vous suivez un peu l’actualité vinicole au Québec, vous avez certainement entendu parler de James Suckling. Sinon, ou si vous vivez sous une roche depuis une semaine, voici un petit résumé exécutif.

James Suckling: Photo tirée de divinotuscany.com
James Suckling: Photo tirée de divinotuscany.com
En février 2011, James Suckling, ancien critique du Wine Spectator, est au Québec pour une opération marketing avec la SAQ. Il y déguste des vins et les mieux notés font partie d’une promotion en succursale. La promotion se répète au début de 2012.

Les critiques sont nombreuses lors du lancement de la promotion. Pourquoi ne pas prendre un critique québécois? Devrions-nous résumer un vin à un seul pointage? À plusieurs reprises, les deux parties ont affirmé qu’il n’y avait pas d’entente financière entre elles et qu’il s’agit d’un échange de bons procédés.

I am working on an interesting project with the SAQ — the stater-run wine and spirits distribution company and arguably the biggest wine merchant in the world — where I am blind-tasting many of its specially selected wines, and we share the tasting notes on our websites. There is no financial relationship. It’s sharing information and contacts. Besides, I think Montréal is a really cool place.

Mardi le 17 avril, Karyne Duplessis-Piché lâche une petite bombe sur le site de La Presse: la SAQ aurait versé 24 000$ à Suckling pour “la dégustation et la notation de produits, la production, la création et l’animation de capsules vidéos”, selon des documents obtenus grâce à la loi sur l’accès à l’information.

Évidemment, tollé sur les médias sociaux, indignation et la nouvelle est reprise un peu partout, entre autres chez Dr. Vino, un important blogue américain.

Sur le forum de son site, Suckling y va de sa propre mise au point, brève et touchante:

There was no cover up. The journalist spoke to the SAQ in January and was told the situation.

I never denied anything. I never commented.

More information is forthcoming.

I am considering libel action.

Finalement, le 20 avril, la SAQ émet un communiqué de mise au point, dans lequel elle affirme que Suckling n’a pas été payé du tout lors de la première campagne en janvier 2011, que 119 abonnements à son site web ont été achetés à la demande de conseillers en vin (environ 6000$) et que le critique a été rémunéré 18000$ en février 2012 pour “la production, la création et l’animation de ces capsules en novembre 2011”. Le texte complet de ce communiqué est disponible sur Fouduvin.ca (je ne l’ai pas trouvé ailleurs, Fouduvin est un forum tout à fait indépendant). Les dites capsules vidéo sont disponibles sur le site de la SAQ.

Voici où nous en sommes pour l’instant, mais la situation n’est pas tout à fait éclaircie…

Il semble avoir une différence importante entre ce qui est rapporté par La Presse initialement et le communiqué émis par la SAQ. La Presse affirme que Suckling a été payé pour “la dégustation et la notation de produits”, ce que la SAQ nie. À mon sens, la manière de trancher le débat est de rendre public le contrat qui lie les deux parties, ce que la SAQ refuse de faire.

En soi, ce n’est pas le fait que Suckling ait été payé qui me dérange. C’est plutôt le manque de transparence et le fait qu’on ait affirmé le contraire à plusieurs reprises. De plus, pourquoi avoir eu à passer par la loi d’accès à l’information pour obtenir les documents nécessaires…? On pourrait croire qu’il y a quelque chose à cacher.

La vraie question est aussi posée par Lesley Chesterman, chroniqueuse gastronomique à The Gazette… On a payé 18000$ pour ça? Pour cette somme, on a eu droit à 9 minutes et 21 secondes de vidéo avec le chroniqueur. Vous pouvez calculer le salaire horaire et rêver du métier de prestigieux chroniqueur de vins… Il a aussi dégusté et noté une centaine de vins (31 étaient commercialisés) à chaque année, mais cette partie du contrat était non-rémunérée…

Au final, cette histoire nous renvoie à la confiance qu’on accorde à un critique. En cette ère 2.0, je préfère me fier à des gens que je connais bien et à qui je peux faire confiance aveugle, à la fois au niveau de ma compatibilité avec leurs goûts, même si ce ne sont pas des professionnels.

La tyrannie du score – Suckling à la SAQ

À l’instar de l’année dernière, la SAQ prépare une promotion qui mettra en valeur des vins recommandés par le critique américain James Suckling.

James Suckling
James Suckling
Parmi les vins en vente, on retrouve des vins dans plusieurs gammes de prix, qui sont parfois déjà en vente en succursales. Par exemple, le Godello Valdesil Valdeorras 2010 s’est mérité la cote de 91 points, Les Argiles de François Chidaine Vouvray 2009 a 93 points et le Palazzo Brunello di Montalcino 2004 mène le bal avec 94 points. La liste complète est disponible sur le forum fouduvin.ca, mais l’inscription (gratuite) est nécessaire pour la consulter. On note que la majorité des vins sont déjà en vente en ce moment. La promotion sera lancée le 2 février et n’est pas associée à un rabais sur ces produits.

Ce qui me dérange le plus dans cet arrivage, outre le recourt à un critique américain alors qu’on n’en manque pas de bons au Québec, est l’utilisation qui est faite des cotes accordées par le critique au vin. Lors de la promotion de l’année dernière, les vins étaient identifiés par une photo du monsieur, avec le score bien en évidence. Il n’y a toutefois pas d’autre information qui permettrait de guider le consommateur.

Par exemple, mon ami Le Cave à Vins sur fouduvin, décrit le Cheverny Le Pressoir (92 points) comme étant “un joli vin, soit dit en passant. Léger et sans façon, mais avec de la personnalité.” C’est à des lieues de ce qui ressort du personnage, qui met souvent l’emphase sur les vins plutôt puissants et forts en gueule. Un amateur qui cherche un vin qui serait typiquement recommandé par Suckling serait plutôt déçu.

Résumer un vin en un seul chiffre est un exercice dangereux. On évacue tout le contexte, toutes les nuances et toute la subjectivité que représente l’appréciation d’un vin pour n’en retenir qu’une infime partie.

La morale de cette opération marketing? Probablement la même morale qu’à l’habitude… Il faut se renseigner sur les vins que l’on achète et chercher à savoir s’ils sont compatibles avec nos goûts et notre palais. Ça tombe bien, c’est une de mes résolutions cette année.

Les vins, le critique et la SAQ

James Suckling à la SAQ
James Suckling à la SAQ

On parle beaucoup ces temps-ci sur la blogosphère québécoise de la visite au Québec de James Suckling (sur Méchant Raisin, à plusieurs reprises, sur le forum fouduvin.ca et sur twitter) et aussi de l’opération marketing de la SAQ qui l’accompagne.

Pour ceux qui ne connaissent pas le personnage, je vous invite à visionner son explication de l’échelle qu’il utilise pour noter les vins, son video tourné avec Gary Vaynerchuck, de Wine Library ainsi que le vidéo d’introduction à son nouveau site web. Avec ça, je pense que vous aurez un protrait d’environ 92 points du personnage…

Pour plusieurs, la SAQ aurait dû privilégier une offre basée autour d’une sélection faite par un critique local (et on sait que le Québec n’en manque pas…). Pour d’autres, la SAQ a fait ici un beau coup marketing pour permettre d’arriver à leur objectif: vendre du vin. Je crois que la vérité se situe à quelque part entre les deux. Je n’apprécie pas particulièrement James Suckling, ni sa confiance absolue dans le système de notation à 100 points, mais on doit admettre que cette opération a été bien profitable pour la SAQ, certains produits qui étaient déjà sur les tablettes se sont envolés dès qu’ils ont reçu le sceau “Suckling”. À force d’y réfléchir, je crois que c’est ce qui me dérange le plus dans toute l’opération: le fait que les consommateurs ont soudainement trouvé un vin plus intéressant (au point d’en acheter à la caisse) alors qu’ils auraient bien pu le faire bien avant…

On peut en conclure deux choses. Premièrement, parlez-en en bien, parlez-en en mal, mais parlez-en et deuxièmement, que peu importe ce qu’on dise, le consommateur est influencé fortement par les grosses cotes, qu’on aime ça ou non.