Mon calendrier de l’Avent m’offre l’occasion de revenir sur mon année vinicole, tout au long du mois de décembre. Les vins qui m’ont fait vibrer, tout au long de l’année.
Au mois de juin dernier, Tastecamp se déplaçait dans le comté de Frederick au Maryland pour 3 jours de découvertes des vins, spiritueux, bières produit dans la région. Alors que j’en ai parlé principalement sur les réseaux sociaux, je suis revenu de là significativement moins enchanté que lors de mes visites dans les autres régions couvertes par Tastecamp.
Le Maryland vit un peu dans l’ombre de la Virginie voisine, où on compte 5 à 7 fois plus de vignobles et cherche toujours à se trouver une identité propre à elle. Oui, les assemblages bordelais qu’on y produit sont de bonne qualité, mais ils ne m’ont pas particulièrement marqué. De plus, la présence toute proche de Washington crée une forte demande pour les vins locaux, poussant ainsi les prix à la hausse.
Exception à cette généralisation un peu rapide: le Pétillant Naturel Grüner Veltliner de Old Westminster Winery. Plein de vie, rafraîchissant et aromatique à souhait, il a parfaitement bien lancé la fin de semaine. Et au final, c’est le vin qui m’a le plus marqué lors du weekend. Je ne regrette que son prix de 40$ (US) et sa faible disponibilité (les 100 caisses sont vendues au vignoble ou en ligne).
Drew Baker et son équipe nous ont accueillis dans leur futur vignoble de Burnt Hill, dont la plantation n’a pas débuté encore, pour discuter de tout le travail préliminaire nécessaire lors de l’implantation d’un vignoble, de l’étude des sols et des microclimats pour trouver quel emplacement sera le mieux adapté à quel cépage. De belles rencontres avec des vignerons passionnés, c’est ce qui rend Tastecamp si intéressant.
C’est une heure au nord-ouest d’Halifax qu’on retrouve la région viticole la plus à l’est de l’Amérique du Nord, la vallée de l’Annapolis. Ce petit coin de la Nouvelle-Écosse émerge sur la scène viticole mondiale depuis quelques années avec des vins blancs et des mousseux de grande qualité.
Aujourd’hui, une vingtaine de producteurs se concentrent autour de Wolfville, là où la baie de Fundy devient le bassin de Minas. On est ici tout juste à la limite de la zone de maturation des vitis vinifera, les eaux de la baie venant tempérer le climat et allonger un peu la saison, permettant aux vignes de survivre en hiver et de repousser les épisodes de gel tout juste assez pour permettre aux raisins d’arriver à maturité.
Comptant aujourd’hui une vingtaine de producteurs, la région propose une offre particulièrement cohérente, organisée autour des mousseux et des vins blancs produits à partir d’assemblages de vitis vinifera et de cépages hybrides. On y retrouve bien quelques rouges, mais ce n’est pas avec quoi la région cherche à se démarquer.
L’appellation Tidal Bay a ainsi été mise sur pied en 2012 et une douzaine de domaines produisent maintenant un vin dans cette appellation. Ils mettent de l’avant l’acidité et la minéralité qui caractérisent la région, de même qu’un profil aromatique qui va de pair avec les fruits de mer, un choix logique pour un vin d’un climat maritime comme celui de la Nouvelle-Écosse. N’attendez pas un vin totalement sec, par contre, ils possèdent un peu de sucre résiduel qui vient arrondir un peu les angles.
Quelques producteurs à ne pas manquer
Benjamin Bridge est un des domaines qui a propulsé les bulles néo-écossaises sur la scène mondiale. Plantées à partir de 2001, dans la vallée de Gaspareau, légèrement plus chaude au printemps que les vignobles plantés directement à côté de la baie. À la tête de l’équipe, le Québécois Jean-Benoît Deslauriers s’est attiré des compliments d’un peu partout sur la planète, et pour cause.
Il s’agit du seul producteur néo-écossais dont les vins se retrouvent sur les tablettes de la SAQ. Pour une introduction au style de la maison, tentez de mettre la main sur le Brut 2009 ou 2011 ou optez pour la cuvée Réserve 2010 pour le passer en pirate dans une dégustation de champagnes.
Benjamin Bridge
Magnum de Pétillant Naturel 2016 dans les vignes
Plan des parcelles chez Benjamin Bridge
En plus de ces cuvées qui font l’orgueil de la maison, près de la moitié de la production est composée du Nova 7; cet assemblage à base de Muscat de New York, Vidal, Ortega et L’Acadie composant 11000 des 22000 caisses produites par le domaine. Légèrement pétillant, peu alcoolisé, très aromatique et avec un taux de sucre important, un peu à la manière d’un moscato d’Asti. Les amateurs de Nivole y trouveront chaussure à leur pied et les autres y prendront goût par une chaude journée l’été prochain.
Chez Lightfoot & Wolfville, on n’a pas lésiné sur les moyens pour accueillir les gens en grand, avec une magnifique salle de dégustation et boutique, donnant sur les vignes et des espaces pour accueillir des événements. La qualité de l’accueil rivalise avec la qualité et l’attention protée aux vins, produits en agriculture biodynamique.
On a pu goûter à des vins pleins de vie, typiquement néo-écossais et vachement bien faits. La production étant encore assez limitée, le meilleur moyen de mettre la main sur ces cuvées est de ce rendre sur place (ou de dire mille mercis à un ami qui va vous ramener une bouteille…!
Lightfoot & Wolfville
Tous délicieux
Ceux qui cherchent une couleur intense dans leur pinot passeront à côté d’un grand vin.
Une salle de dégustation spectaculaire avec vue sur les vignes et la baie
Chez Blomidon Estate Winery, le sympathique terrenevois d’origine Simon Rafuse a aussi fait des vins mousseux sa priorité. C’est chez eux que se retrouvent parmi les plus vieillies vignes de chardonnay, plantées au début des années 1980. Témoin de la force et de l’influence des marées, à marée haute, les vignes ont presque les pieds dans l’eau alors que celle-ci se retrouve à près de 100 mètres au large à marée basse! La cuvée tirée des vignes de l’Acadie est aussi particulièrement recommendable.
Certaines des plus vieilles vignes de Chardonnay de la Nouvelle-Écosse
Une superbe cuvée de bulles, à base de l’Acadie
Simon Rafuse, winemaker chez Blomidon Estate Winery
De ce côté de la baie, par rapport à la vallée de Gaspareau ou des environs de Wolfville, le printemps est un peu plus tardif, mais la saison se prolong en automne. “Un avantage” selon Simon Rafuse, “ça nous permet d’avoir des raisins qui mûrissent sans peu du gel sur une base plus régulière. J’échange volontiers une semaine au printemps contre deux à l’automne!”.
Pour s’y rendre
On doit compter une dizaines d’heure de route depuis Québec pour se rendre jusqu’à Wolfville. Selon le degré d’empressement, on pourra choisir de couper la route en deux et de coucher à St-Jean au Nouveau-Brunswick puis de prendre le traversier le lendemain matin. Sur place, planifier quelques jours pour faire le tour sans se prendre la tête, possiblement en combinant avec un saut de puce à Halifax, situé à une heure de route.
À deux heures au sud de Montréal, on pense au Vermont pour ses montagnes vertes, ses forêts et ses activités de plein air. Peu de gens s’y rendent toutefois pour prendre le pouls de cette jeune région gourmande. Retour sur trois jours de découvertes.
Bien que toute jeune, l’industrie vinicole a rapidement compris que le climat vermontais ne se prête pas bien à la culture des cépages “classiques”, vitis vinifera. Ils tablent plutôt sur l’émergence qualitative de nouveaux cépages hybrides, plus résistants au froid, pour la plupart développés à l’université du Minnesota au cours de la dernière décennie. Le seul cépage vitis vinifera dont on a entendu parler lors de la fin de semaine est le riesling, principalement pour dire que c’était pas facile…! Au lieu de ça, Marquette, La Crescent, Brianna, Louise Swanson, trois variétés de Frontenac font déjà partie des meubles.
Le Marquette est le cépage rouge qui semble donner les meilleurs résultats. Les styles varient, mais le point commun entre les cuvées les mieux réussies était une dose minimale (voire absente) de vieillissement en bois neuf. “We found out that it was very easy to over-oak Marquette”, nous confiera le vigneron Chris Granstrom chez Lincoln Peak. Le Marquette prend alors des jolies notes de fruits rouge et une acidité bien marquée. Le bois viendra parfois ajouter un peu de corps, mais plus souvent qu’autrement il viendra plutôt que masquer le fruit sans vraiment apporter quelque chose de plus à l’ensemble.
Pour se faire sa propre tête, on se rend chez Shelburne Vineyards en comparant leur marquette d’entrée de gamme avec le Reserve Barrel Select. Disponible pour plantation commerciale seulement depuis 2006, on ne sait pas exactement comment il va se comporter au vieillissement à long terme, mais l’avenir semble déjà prometteur.
En blanc, on trouve beaucoup de La Crescent, aux notes aromatiques florales prédominantes, qui rappelleront à certains le gewürztraminer. Ici par contre, beaucoup plus de disparité, la fraîcheur ayant tendance à disparaître rapidement et le vin vient un peu lourd. Les meilleurs exemples de La Crescent réussissent à trouver un équilibre avec une macération prolongée, sans se rendre tout à fait à l’étape du vin orange. Assemblé avec du Frontenac Gris chez Lincoln Peak, il donne la cuvée Limestone qui trouve ce délicat point d’équilibre.
Au-delà de ces généralisations régionales, il y a toujours des producteurs qui savent s’élever du lot. C’est le cas de Deirdre Heekin et Caleb Barber, derrière La Garagista. La ferme de polyculture qu’ils exploitent au coeur des montagnes est un petit coin de paradis. Les douces montagnes s’étendent à l’horizon, les pommiers et poiriers entourent la maison et les jardins d’herbes aromatiques.
Deirdre Heekin chez La Garagista
Pas de pesticides, pas de levures industrielles ni de mécanisation, beaucoup de soin et un véritable souci du détail font des vins de La Garagista les meilleurs de la région. Les pétillants naturels Ci Confonde, tant en blanc (fait de Brianna) qu’en rosé (vinifié avec du Frontenac gris) sont à la fois classiques et possèdent cette sensation d’appartenir totalement à leur environnement. Des vins particulièrement excitants, vivants et nullement complexés par l’utilisation de cépages hybrides: ils sont tout simplement délicieux.
L’industrie viticole au Vermont est comme un nouveau-né. Bien qu’encore un peu fripée, on voit déjà qu’elle pourra grandir dans quelque chose de très beau. Reste qu’à lui donner un peu de temps et beaucoup d’amour.
La bouteille n’a pour étiquette qu’un petit bout de ruban identificateur : Cuvée 64 et est certainement une des bouteilles les plus intrigantes qui trônent sur mon étagère de vins signifiants…
Dans la bouteille, du chardonnay vinifié en 2009 chez Closson Chase, dans Prince Edward County, Ontario. Un chardonnay comme je les aime, avec une fraîcheur assumée, un taux d’alcool sous contrôle et une texture riche apportée par l’élevage dans une vieille barrique, mais sans jamais que le bois ne prenne le dessus. À l’aveugle, on pourrait penser à un Bourgogne de belle facture.
Autour de la table, forcément, mon ami Rémy Charest qui a vinifié cette barrique en 2009 et qui prend un malin plaisir à servir ces bouteilles à l’aveugle lorsqu’on s’y attend le moins. Il a tenu tête à l’aveugle à un joli Puligny-Montrachet récemment et fait une forte impression lors de la soirée BYOB à Tastecamp 2013 en Virginie.
Au total, 72 bouteilles ont été produites et plusieurs se sont retrouvées dans quelques restaurants montréalais et québécois. Celle-ci provient de la cave de chez Joe Beef et j’ai insisté pour garder la bouteille vide, pour la mettre en cave. Avec une si faible production, je vois comme un signe de bonne amitié le fait que j’ai pu goûter à ce vin à 6 reprises au cours des dernières années…
Cheers Rémy et au plaisir de déguster ensemble ce que tu vinifieras à l’avenir!
Lorsqu’on mentionne Niagara, on pense surtout aux chutes. La superbe région viticole située à un peu plus d’une heure à l’est de Toronto passe souvent deuxième, alors qu’elle fraye son chemin sur la scène mondiale pour autre chose que le vin de glace.
Première partie de ce retour sur deux journées de visite bien remplies à la fin novembre.
Pearl-Morissette
François Morissette est un vigneron qui refuse les étiquettes. Montréalais d’origine, formé en Bourgogne chez des domaines pas piqués des vers (Frédéric Mugnier, Henri Gouges et Roulot), il s’est établi dans la péninsule en 2007. Vin nature? Non, il y a trop de mauvais qui se fait sous cette dénomination pour vouloir y être associé, mentionne François. Disons plutôt non-interventionniste, vivant, cérébral et pragmatique. Sans compromis.
Lors de mon passage, j’ai pu goûter à tout ce qu’il y avait à goûter… Sur la vingtaine de bouteilles, seulement deux avaient des étiquettes…! La dégustation est devenue presque une séance de travail lorsque l’assisant winemaker Brent Rowland est passé et s’est joint pour donner son avis sur l’évolution de certains vins qu’on dégustait!
Les bouteilles dégustées avaient pour la plupart été ouvertes entre quelques jours et une semaine auparavant et aucun signe de fatigue à l’horizon. L’oxygène est amené assez tôt dans le processus de vinification, ce qui leur permet de mieux résister au vieillissement et à l’ouverture.
Les rieslings, contrairement à l’habitude en Ontario, sont sans sucre résiduel et sont tout à fait vifs, tranchants et minéraux. Ici, le Redfoot offre une belle introduction à ces rieslings fermentés dans des vieilles foudres alsaciennes, mais c’est la cuvée Blackball (voir ici pour le résumé de la saga) qui retient la vedette. Un grand riesling qui vieillira avec grâce dans les prochaines décennies.
En rouge, mon coeur va au gamay qui offre toute la soif que ce cépage peut amener, sans tenter d’imiter ce qui peut se faire en Beaujolais. Un vin glougloutant à souhait, qui prend tout de même son temps pour se livrer. Une belle réussite qui montre que le gamay a un bel avenir dans le Niagara.
Le cabernet franc est quant à lui beaucoup plus substantiel et, selon l’avis de plusieurs, est probablement le cépage qui se démarquera le plus dans la région. Celui de François Morissette permet de baser un argumentaire particulièrement convaincant dans ce sens.
On surveillera aussi dans le futur les vins élevés en qvevris, ces gigantesques amphores en terre cuite importées de Géorgie. La cuvée de chardonnay qui y est élevée est pleine de fruits et de vie, avec une petite touche tannique juste assez dépaysante, mais qui m’a rappelé de beaux souvenirs de voyage!
Pour visiter chez Pearl-Morissette, il faut obligatoirement prendre rendez-vous. Le domaine est représenté au Québec par Vinealis.
Stratus
Alors que chez Pearl-Morissette, on produit pour l’instant presque uniquement des vins en monocépage, c’est l’inverse qui se passe chez Stratus, où l’assemblage est roi. C’est au total 17 cépages différents qui sont cultivés sur les 25 hectares de la propriété, qui produit du vin depuis 2005.
Établi dans le Niagara depuis 25 ans, Jean-Laurent Groulx a vu toute l’évolution de la viticulture dans le Niagara. C’est l’appel de la liberté qui l’a retenu dans la région, où les vignerons ont la possibilité d’expérimenter avec des nouvelles idées chaque année et où le progrès n’est pas retenu par le poids de la tradition.
Ainsi, à chaque année, l’emphase est mise sur le Stratus blanc et le Stratus rouge, les deux cuvées phare du domaine. La composition de l’assemblage varie annuellement, au gré de ce qui est le plus convaincant dans une séance d’assemblage à l’aveugle.
En 2012, année chaude, le Stratus blanc est composé à presque à part égales de chardonnay et de sauvignon blanc (43% et 42% respectivement), complété par 15% de sémillon. Avec presque deux ans en barriques, le vin développe une ampleur impressionnante qui fait que cet assemblage bordelais prend des airs de vins du sud du Rhône. Très joli.
Le Stratus rouge 2012, quant à lui, est issu principalement de cabernet sauvignon (29%), cabernet franc (26%) et de merlot (26%), complété par du petit verdot (13%), du malbec (3%) et du tannat (3%). Un vin qui respire la grande classe et l’élégance et qui est bâti pour la table. Il va vieillir longtemps et avec grâce.
Le domaine produit aussi quelques rieslings, qui sont plus dans la norme de ce qui se produit en Ontario, avec une bonne dose de sucre résiduel. Qu’on aime – ou pas – le style, on doit conclure que ce sont des vins d’une très belle facture, autant le Moyer Road Riesling (une étiquette propre au Québec) que la gamme de Charles Baker, le directeur marketing de Stratus dont le projet personnel est vinifié ici.
Et le vin de glace, lui? Il trouve chez Stratus une expression plus fraîche, avec un peu moins de sucre résiduel et un peu plus d’acidité que la moyenne. Ça reste une gourmandise et comblera les amateurs de Sauternes à la recherche de nouveaux terroirs.
Stratus dispose d’une très grande (et particulièrement jolie) salle de dégustation ouverte au public. Rendez-vous sur leur site web pour valider les heures d’ouverture.
Stratus est représenté au Québec par réZin, que je remercie pour l’aide à l’organisation avec M. Groulx.