Lorsqu’on parle de vin mythiques, on a immédiatement en tête (avec raison), les grands crus de ce monde: Pétrus, Romanée-Conti, Opus One, Cheval Blanc, etc. Ces vins ont atteint le statut de mythe grâce à plusieurs années de faire le meilleur vin sur la planète. La culture populaire peut aussi faire passer un vin dans la catégorie des vins mythiques, pour des raisons évidemment complètement différentes.
C’est ainsi que lors de vacances récentes en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick, j’ai eu l’occasion de mettre la main sur un de ces vins: le mythique Baby Duck – en magnum, s’il-vous-plaît! Il a été parmi les vins les plus populaires au Québec dans les années 1960 et 1970, mais n’est plus commercialisé par la SAQ depuis un bon moment. Je ne pouvais pas me permettre de passer à côté de la “chance” de goûter à cette bouteille.
N’écoutant que mon courage, j’ai servi cette bouteille à l’aveugle à l’apéro lors d’une dégustation organisée avec les collègues. On verse dans les verres et une mousse intense se forme par-dessus le vin, ne laissant présager rien de bon.
Baby Duck
Au nez, si vous ave une de l’expérience avec le jus de raisin Welch’s, vous ne serez pas dépaysé. C’est un nez malheureusement très intense et il est difficile de passer par-dessus. En bouche, ce sont principalement les 50 grammes par litre de sucre résiduel qui prennent toute la place. Les bulles pétillent comme une boisson gazeuse et tapissent la bouche. La sensation désagréable persiste encore beaucoup trop longtemps. Sur le bord de la piscine, l’été quand il fait (très) chaud, pour prendre avantage du fait que le vin ne titre que 7% d’alcool? Peut-être, mais on peut trouver des meilleures options en quelques secondes…
Bref, j’ai encore des amis au bureau, mais ils seront plus prudents à l’avenir lorsque je leur servirai un vin à l’aveugle. Ceci dit, je suis bien content d’avoir goûté à ce vin mythique, mais je n’ai pas l’intention d’essayer de récidiver bientôt. Si vous voulez faire l’expérience par vous-mêmes, ce vin est encore commercialisé en Ontario, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse.
Il y a de ces vins qui viennent vous chercher, qui vous transportent et pour lesquelles les descriptions ne sont pas adéquates. J’ai eu le privilège de mettre la main sur une bouteille de la Cuvée expérimentale de pinot noir du Domaine du Nival et je le classe sans hésitation dans cette catégorie.
En se rendant au domaine, on quitte l’autoroute 20 vers St-Louis-de-Yamaska et on traverse une plaine parsemée de fermes laitières. Au détour d’un chemin, on découvre un des rares coteaux de la région, qui surplombe la rivière Yamaska et la vigne apparaît. Le domaine du Nival est une destination, on n’y passe pas par hasard.
C’est là que le duo père-fil de Denis et Matthieu Beauchemin ont décidé de planter en 2012 des vignes de Vidal, Pinot Noir, Gamaret (un cépage d’origine suisse) et quelques curiosités québécoises comme de l’Albariño, de la Petite Arvine et du Gamay. Agriculture et vinification en biodynamie, travail au champ “à bras”, attention au détail.
Dans le coteau, le pinot noir et la gamaret. En contre-bas, non loin de la rivière, le vidal. Cachée derrière une petite rangée d’arbre, dans une pente bien abrupte, l’albariño (et un des coups d’oeil les plus spectaculaires). En haut, près du chai, la petite parcelle expérimentale…
Au cours des dernières années, le domaine a eu particulièrement bonne presse et leurs cuvées s’envolent comme des petits pains chauds. Celle-ci, malgré le fait que les vignes ne soient âgées que de deux ans, le fruit est éclatant, malgré des signes d’évolution bien marqués. J’ai donc dans mon verre un beau pinot noir à son apogée, vivant et vibrant.
Le but ici n’est pas de vous écoeurer avec une bouteille qui n’est pas en vente, mais plutôt de partager mon enthousiasme et mon émotion devant ce qui est, à mon sens, parmi les meilleurs vins produits au Québec.
Le domaine va mettre en vente dans les prochains jours ses cuvées 2016 des Entêtés, un assemblage de pinot noir et de gamaret et de Matière à Discussion, un vidal élevé en fûts. Même si le millésime 2016 a été difficile chez eux à cause d’une violente attaque de cicadelles, limitant la photosynthèse (et le taux de sucre des raisins) en fin de saison, le vin que j’ai goûté au domaine lors de mon passage en juillet est terriblement délicieux.
Dans les collines du Priorat, il faut se forcer pour trouver autre chose que du vin rouge. On y vantera volontiers les mérites des vins à base de grenache et carignan élevés sur les sols de llicorella, le reste ayant souvent l’air d’une arrière pensée…. “Ah oui, on fait un peu de blanc aussi! Seriez-vous intéressés à y goûter?” m’a-t’on demandé à plus d’une reprise lors d’Espai Priorat à la fin mai. Pourtant, les blancs du Priorat est parmi ce qui m’a le plus enthousiasmé lors de mon séjour dans la région.
C’est un peu moins de 6% de la superficie totale du vignoble du Priorat qui est planté en cépage blancs. On y retrouve principalement du grenache blanc et du maccabeu, parfois accompagné de Pedro Ximénez. Provenant du champ gauche, on a quelques gens qui cultives du picapoll (oui oui, le cépage connu sous le nom de piquepoul dans le sud de la France) et un peu de chardonnay, qui n’y fait pas très bien.
Au niveau du profil, ils reflètent bien les coteaux ensoleillés d’où ils sont issus. On pourrait les comparer aux blancs du Roussillon, tout juste de l’autre côté des Pyrénées: avec un intense fruité et une présence en bouche large. Ce ne sont pas des vins blancs qui sont construits autour de l’acidité comme on retrouve dans des contrées plus nordiques. Toutefois, la llicorella qui forme la base géologique de la région permet de garder le tout avec une bonne acidité, malgré la chaleur ambiante.
Mas d’en Compte 2007 chez Cal Pla, une révélation
Gotes Blanques 2016, formidable rapport qualité-prix
Marta et son Coma Blanca 2014 de Mas d’en Gil
On n’en retrouve que 4 Priorat blancs sur les rayons de la SAQ, dans le meilleur des cas les vins ci-dessus sont disponibles en importation privée. Si vous trouvez un exemplaire du Barranc dels Clossos de Mas Igneus dans une succursale près de chez vous (ils se font rares!), n’hésitez pas, il s’agit d’une belle introduction aux blancs de la région. Le Onix Classic de Vinicola del Priorat m’avait semblé quelque peu générique lorsque dégusté là-bas… Il ne s’agit pas d’un mauvais vin, mais il n’est pas aussi excitant que celui de Mas Igneus. Quant au Nelin de Clos Mogador, il s’agit d’un vin hors normes, composé de près d’une dizaine de cépages, avec un peu de macération pelliculaire, etc. Un très beau vin, mais pas nécessairement représentatif de ce qui se fait dans la région.
Pour ce qui est de mes autres découvertes, le Vi Ranci – un vin oxydatif habituellement à base de grenache, un peu comme les banyuls, et les Vermuts locaux, il faudra se rendre sur place, puisque ceux-ci ne sont à peu près pas exportés. On y est très collé à la notion de terroir, de savoir faire des Hommes qui font ce qu’ils peuvent avec ce que la nature leur offre.
Si c’est ce que ça vous prend pour aller visiter le Priorat, sautez dans un avion à destination de Barcelone plus tôt que tard, la région vous le rendra bien.
Le vrai défi des producteurs québécois commence aujourd’hui, et pour les 364 prochains jours, c’est que le public s’intéresse à leurs vins plus d’une journée par année. Le mouvement est déjà bien entâmé pour les bières et les spiritueux, mais la côte est plus abrupte du côté des vignerons.
On a fait grand bruit de l’arrivée des vins québécois dans les épiceries de la province, mais, même s’il s’agit d’une amélioration dont certains pourront prendre avantage, la distribution n’est pas le problème le plus difficile auquel les vignerons québécois devront s’attaquer. Les vins québécois ont une grosse pente à remonter au point de vue de la notoriété. Le consommateur doit d’abord se défaire de l’apriori qu’on ne fait que des vins sucrés au Québec, conséquence fâcheuse du succès du vin et du cidre de glace. Ensuite, il faut pousser à la découverte, s’assurer que les conseillers de la SAQ (ou des épiceries fines qui offrent des vins québécois) sachent et n’hésitent pas à les recommander, ce qui est loin d’être gagné.
L’industrie vinicole au Québec est en pleine ébullition au cours des dernières années. Les stocks malheureusement limités de Pinard et Filles, du Domaine du Nival et des Pervenches font courir les foules, et pas seulement parce que le vin est difficile à trouver, mais principalement parce qu’il est délicieux. On n’a qu’à souhaiter qu’ils puissent continuer à grandir et perfectionner leur produit.
Il faut passer de “je vais acheter un vin québécois” à “je vais acheter un bon vin et, en plus, il s’agit d’un vin québécois”. Passer de l’achat patriotique fait une ou deux fois par année à un achat basé sur la qualité du produit. Qu’on le veuille ou non, le vin québécois reste un produit de niche, du moins pour les prochaines années, mais il est du ressort de tous un chacun de le faire sortir, à sa manière, de cette relative indifférence.
Douzième siècle, des moines chartreux s’établissent dans une région reculée de la Catalogne et fondent un monastère adossé à la Serra de Monstant, Escaladei, vivant humblement des fruits de la terre de la région. Entourées de montagnes, les collines sauvages du Priorat sont isolées du reste de la Catalogne et une dizaine de villages se développent autour du monastère. Il s’agit d’un lieu parfait pour la retraite et le recueillement recherché par les moines.
Début du vingtième siècle, la région, déjà plutôt pauvre et frappée de plein fouet par le phylloxera, se vide de ses habitants, qui quittent pour les grandes villes catalanes de Tarragona et Barcelona. Une appellation est créée en 1932 pour les vins du Priorat, mais la guerre civile espagnole vient interrompre sa mise en place, et elle n’entrera en vigueur qu’en 1954. Tout ce temps, le vin produit dans la région continue à être exporté à l’extérieur de la région pour apporter du punch dans les autres vins qui n’ont pas autant de soleil.
C’est en 1989 que l’histoire moderne du Priorat recommence à s’écrire. C’est à cette date que 5 vignerons, visionnaires et un peu fous, mais surtout séduits par le potentiel de la région, s’établissent à Gratallops pour tirer le meilleur des raisins de la région. La reconnaissance internationale vient rapidement, pour leurs vins à base de grenache et carignan qui faisaient aussi la part belle aux cépages en vogue à l’époque, le cabernet-sauvignon, merlot et syrah. La reconnaissance vient assez rapidement et la région se découvre tranquillement au yeux du monde.
Alors que la mode dans le monde du vin s’en va de plus en plus vers des vins issus de régions délimitées géographiquement, le Priorat emboîte le pas tout en s’éloignant un peu des vins modernes qui ont reçu l’aval des critiques à la fin des années 1990. Depuis 2009, les producteurs peuvent désigner la provenance de leurs raisins selon les 12 villages du Priorat avec la désignation Vi de Villa, suivie du nom du village. On voit aussi des vins issus de vignobles uniques, dénomés Vi de Finca. En même temps, les vignerons prennent conscience de l’immense legs sur lequel ils sont situés et cherchent à réhabiliter les vignobles plantés au début et au milieu du 20e siècle.
Le Priorat, en 2017, c’est un peu moins de 2000 hectares de vignes réparties sur 12 villages différents, dont 95% de la production est consacrée aux vins rouges. On voit maintenant des vignerons qui vont rechercher la fraîcheur, expérimenter avec des amphores, etc. Ainsi, malgré une histoire qui s’échelonne sur plusieurs siècles, on peut donc considérer le Priorat comme une toute jeune région vinicole et on y retrouve cette énergie brute d’une région qui (re)découvre ce qu’elle a à offrir au monde.
Carte des vieux vignobles du Priorat (Source: DOQa Priorat)
Carte des zones de maturation des raisins (Source: DOQa Priorat)
Il est pour l’instant difficile de bien différencier les vins des différents villages, et je pense que ça restera toujours difficile dans le Priorat à cause des immenses différences d’altitude et d’orientation au sein d’un même village. On peut toutefois séparer en trois grandes régions, comme le font instinctivement les vignerons locaux: le sud, le centre et le nord! On peut voir la division informelle sur la carte ci-dessus.
À cause de leur altitude légèrement plus élevée et d’une percée dans les montagnes qui s’ouvre sur la mer Méditerranée, les vins provenant des villages du nord (Escaladei, Poboleda, Porrera) vont avoir un taux d’alcool légèrement plus faible (14.5% au lieu de 15% ou 15.5%) et un peu plus de fraîcheur. Ils peuvent être même parfois un peu austères, avec la minéralité presqu’à l’avant-plan. A contrario, les vins des villages du sud (Bellmunt, El Molar, El Lloar) sont habituellement plus juteux et joufflus que ceux du nord. Les vignes y sont situées à plus basse altitude, autour de 350m (par opposition à 450-500m au nord). Au centre, Gratallops fait office de coeur de la région et beaucoup des vignobles les plus prestigieux y sont situés.
Cette minéralité provient principalement des vignes plantées sur la llicorella, un sol d’ardoise très bien drainé, riche en cuivre et pauvre en nutriments dans lequel la vigne doit travailler très fort pour s’implanter.
Couplé aux pentes souvent abruptes sur lesquelles sont plantés les vignobles, la mécanisation y est quasi impossible et les rendements sont lilliputiens. Les vignerons vont parler en terme de grammes de fruit par plant (ou en jours d’ouvrage pour s’occuper du vignoble!) et ce n’est pas rare de voir des plants produisant 250 grammes de raisin, loin d’être même assez pour faire une bouteille de vin! Ainsi, on comprend donc un peu mieux pourquoi les prix pour ces vins sont généralement élevés.
Vieille vigne de Carignan sur llicorella
Jose Mas Barbera, de Costers de Priorat, nous explique le sol de son vignoble Mas Alzina
Déguster au sein d’un vignoble presque centenaire
Malgré cette concentration et le taux d’alcool important qui en est souvent issue, les vins gardent une fraîcheur étonnante grâce à une très forte différence de température entre le jour et la nuit. Au final, on a des vins plein de caractère, qui reflètent bien le caractère sauvage et brut du milieu dont ils sont issues.
Goûter le Priorat au Québec? On a la chance d’avoir une cinquantaine de vins provenant de cette région sur les tablettes de la SAQ, mais comme il ne s’agit pas de gros volume, il faudra probablement chercher un peu et garder l’oeil ouvert.
Franck Massard est un sommelier belge ayant eu un coup de coeur pour cette région catalane en 2004. Initialement installé à El Molar, il s’est relocalisé à Poboleda, tout au nord de l’appellation pour aller chercher plus de fraîcheur dans ses vins. L’Humilitat 2012 est son vin d’entrée de gamme, dans lequel il souhaite mettre de l’avant tout le fruit possible du Priorat. Ne vous attendez pas à un petit vin de soif tout de même, il titre 14.5% d’alcool et demande, comme tous ses collègues, un repas qui saura lui tenir tête. J’ai goûté le 2014 sur place, le 2012 devrait être juste à point!
Valeur sûre à chaque année, Les Terrasses 2015 d’Alvaro Palacios nous suggère ce que le vigneron le plus en vue de la région est capable de faire. Tout comme l’Humilitat, il s’agit d’un assemblage de Grenache et Carignan (60%-40%) particulièrement gourmand qui saura vieillir quelques années. Son principal défaut est que son prix a augmenté considérablement depuis quelques années (de 32$ à 48$ en 6-7 millésimes), ce qui le place bien au centre du Carmins del Priorat et du Vi de Villa Gratallops, un de mes coups de coeur de ma visite dans la région.
Finalement, pour s’approcher de ce qui se fait de mieux dans la région, le Cami Pesseroles 2012 de Mas Martinet est un bon choix. Puissant et élégant à la fois, il est selon moi à son meilleur après quelques 5-8 ans en bouteille. Sa fouge de jeunesse se sera calmée légèrement, les tanins assagis, laissant toute la place au fruit et à ce soleil qui caractérise si bien la région. Un vin d’exception à savourer avec des gens qui le méritent.
Merci à DOQ Priorat pour l’invitation (et d’avoir couvert les frais) à Espai Priorat 2017, un séjour de trois jours dans la région qui m’a permis de découvrir les vignes et m’immerger dans la culture.