En visite chez une amie, j’ai eu la chance de mettre la main sur le Guide du Vin 1995 de Michel Phaneuf, un classique qui en était alors à sa 14e édition. Outre le fait qu’on y mentionne dans la biographie de M. Phaneuf qu’il tient une chronique sur le réseau Videoway (pour les plus jeunes, regardez ici…), on y retrouve une mine d’informations sur le monde du vin en 1995.
La publication, aujourd’hui entre les mains de Nadia Fournier, a tracé la voie dans le paysage vinicole québécois et est encore très pertinent aujourd’hui, malgré les deux décennies de distance. Flashback en 1995.
Le vin au Québec
Le portrait vinicole du Québec a bien changé aussi dans les deux dernières décennies. Voici comment M. Phaneuf résumait la situation.
Que boivent les Québécois? Cinq fois plus de vin que de spiritueux, fait unique au Canada. Et beaucoup plus de vin blanc que de rouge, encore que la domination du blanc tende à se résorber (55% en 1993). Les Québécois boivent d’abord du vin québécois, c’est-à-dire ces innombrables vins de table importés en vrac de partout et embouteillés par les vineries québécoises et la Société des alcools. Les vins importés en bouteille ne détiennent que 32% du marché. Globalement, 40% des vins sont vendus dans les épiceries.
Ce qui me surprend le plus, c’est le faible taux de ventes des vins embouteillés directement au domaine (à 32%). Je peux difficilement trouver un chiffre actuel dans le rapport annuel de la SAQ, mais on peut y lire que le chiffre d’affaire tiré du secteur du vin vendu en épicerie (donc, selon la loi, embouteillé au Québec) est d’un peu plus de 10%.
On note aussi le net changement de consommation des vins blancs, passant de 55% à 29.6% en 2016 et ce chiffre même est en augmentation depuis quelques années.
La montée des prix
Lorsqu’on tombe sur un de ces vieux guides, un des premiers réflexes est de regarder les prix des vins et de rêver d’acheter des grands vins à des prix modiques. Oui, il y a certainement quelques exemples de prix avant l’inflation causée par la demande mondiale, surtout chez les bordelais: Ausone 1989 à 63$, doit 92$ après ajustement d’inflation, Cheval Blanc 1989 à 121$ (178$ après inflation) ou Palmer 1989 à 76$ (111$ après inflation) et on pourrait continuer à trouver d’autres exemples.
Mais c’est surtout la quantité de vins qui n’a pas tant augmenté qui surprend. La courte liste ci-dessous n’est certainement pas exhaustive, mais donne une bonne idée de ce qu’on peut voir, et ce, dans plusieurs gammes de prix.
- Mouton-Cadet, 13,60$ (20,02$ après inflation) vs. 17.05$
- Château Cantemerle 1990, 42$ (62$) vs. 50$
- Chablis les Champs Royaux, William Fèvre 1992, 18,19$ (26,78$) vs 24,95$
- Tinto Pesquera Reserva 1990, 28,53$ (42$) vs. 45,25$
- Boutari Grande Reserve Naoussa 1989, 13,11$ (19,30$) vs. 20,65$
- Coroa d’Ouro 1991, 11,49$ (16,91$) vs. 15,00$
Autres morceaux choisis
J’aime particulièrement les brefs textes qui nous en apprennent plus sur le contexte qui prévalait à l’époque, comme la brève histoire du boycott des vins de table portugais par la SAQ, représenté par une vingtaine de vins, dont seulement quatre au répertoire général.
L’histoire remonte au milieu des années quatre-vingt, alors que, dans son désir de faire tourner sa chaîne d’embouteillage et sentant qu’il y avait de l’avenir dans ce produit, la SAQ tenait mordicus à importer du Porto en vrac. Sauf que les exportateurs de Porto ont dit non en faisant valoir qu’ils souhaitaient désormais cesser ce genre d’activités afin de préserver la qualité et l’image de marque du Porto sur les marchés étrangers.
Depuis, les Portugais tiennent leur bout. La SAQ aussi, en imposant un boycott partiel aux vins de table portugais. Sauf que, par un mystère dont seul notre monopole a le secret, elle continue d’acheter en quantité industrielle des Porto embouteillés au Portugal. Visa le blanc, tua le noir. Et tant pis pour le consommateur qui doit faire les frais des ces chicanes puériles.
Au sujet des vins ontariens…
La qualité moyenne était acceptable, les blancs étant nettement plus intéressants que les rouges. Succombant à la mode mondiale, les vignerons ontariens passent de plus en plus leurs vins dans le bois, histoire de leur donner un goût international, de chardonnay surtout. Tout cela donne des vins techniquement corrects, mais sans originalité et sans esprit. Je suis chauvin, peut-être, mais tout compte fait, je préfère le goût sauvage et individuel des quelques vins de Seyval produits au Québec.
Sur le marché immobilier à Bordeaux… sans traces d’investisseurs Chinois…
Ces derniers temps, l’activité immobilière a été effervescente à Bordeaux et les transactions nombreuses.
Le Château Latour, premier grand cru classé, a été vendu à l’été 1993 à l’industriel français François Pinault des magasins Le Printemps. Montant de la transaction: 690 millions de francs (150 millions de dollars).
Après avoir échoué dans sa tentative d’acquérir le Château Latour, la famille Wertheimer, propriétaire de Chanel, a mis la main sur le Château Rausan-Ségla, deuxième cru classé de Margaux, pour la somme de 240 millions de francs (52 millions de dollars).
Et, pour finir, un texte toujours aussi pertinent sur La menace du prêt-à-boire.
Dans un cercle vicieux apparemment insolubles, producteurs et consommateurs semblent avoir perdu de vue que le seul véritable intérêt du vin réside dans sa diversité, au gré des cépages, des terroirs, des climats et des traditions locales. Étrange paradoxe, au moment où les différentes cuisines internationales n’ont jamais été aussi populaires, on se méfie des vins exotiques, préférant le confort du prêt-à-porter et oublier d’explorer les mille et un sentiers tracés par la vigne dans le monde.
Merci M. Phaneuf.